Il y a quelques années de ça, un député français, lassé à juste titre de l’accroissement des anglicismes ou américanismes dans la langue française, a essayé de faire voter un texte visant à les faire disparaître.
Les sandwichs, corn-flakes, pop-corn, hot-dogs ou autres water-closets auraient été remplacés respectivement par « tranche de jambon entre 2 tranches de pain », « grains de blé soufflés enrobés de miel », « saucisses enfilées dans un petit pain » et « eau fermée ». Précis, mais pas faciles à utiliser…… ! Pour les premiers, on pouvait s’en passer. Pour les w-c, cela aurait été sans doute plus difficile ! Le texte n’est pas passé, mais la gauche caviar (qui est plus aisée que la droite œuf de lump) a saisi la balle au bond et entreprit une campagne d’assainissement du français par le remplacement de termes jugés discriminatoires ou démodés par des périphrases ornées. Comme du temps des précieuses ridicules ou des incroyables!
Nouvelles technologies
Le début a fait sourire la France entière. Du jour au lendemain, deux métiers qui faisaient la fierté de nos cités depuis des temps immémoriaux ont gagné du galon: nos balayeurs sont devenus des « techniciens de surface » et nos facteurs des « préposés aux P et T ». Jusque-là, il n’y avait pas péril en la demeure et ce n’était qu’une légère ride à la surface de la grande mer de la francophonie. Mais cette ride est devenue vague, puis raz de marée. Cette dérive sémantique, abondement relayée par la presse et la télé, a fini par envahir notre langue vernaculaire.
Mon quartier a été touché en premier. Un beau jour, si l’on peut dire, je découvre que mon aimable voisin, un noir de taille modeste, était devenu un « homme de couleur à la verticalité contrariée », son chat un « félin domestique » et qu’il laissait derrière lui (le chat évidemment) non pas des crottes, mais des « traces écologiques de son passage ». Effroi rétrospectif! J’apprends le même jour, après une visite chez mon ex-médecin, maintenant « dispensateur de soins », que je suis un « consommateur de soins ». Moi qui pensait seulement être malade! L’épicier arabe du coin de la rue a muté sans s’en apercevoir en un « commerçant maghrébin », mais ça ne lui est pas monté à la tête et il n’a pas changé ses prix pour autant. Un peu plus loin, le croque-mort, mot pourtant joliment imagé, s’est transformé en un « ordonnateur de pompes funèbres » nettement plus technique. Je ne m’y rendrais pas plus gaiement! Un peu plus tard, notre jolie campagne française est devenue « un terroir » peuplé « d’exploitants agricoles » qui ont remplacé les paysans de notre jeunesse. On y rencontre des « gens du voyage » qui voyagent encore moins que les gitans d’avant.
Nominés
Dans les « séminaires » qui remplacent les bons vieux congrès d’antan mais qui sont des « non- événements », les « chargés d’affaires » n’emploient pas la « langue de bois ». On y parle de « transparence », de « contre-culture », « d’épiphénomènes », de « fracture sociale » au lieu de parler de clarté, de choix, de marginalité ou de pauvreté. Mais en cas de « non-dits », on y reste « serein ». Aux cérémonies de remise de prix, on n’est plus nommé, mais « nominé ». Mot inventé pour ceux qui sont conviés, mais n’ont aucune chance d’être élus. Nous n’avons plus de pauvres, mais des « socialement déshérités » ce qui leur fait une belle jambe mais ne leur donne rien à manger! Il est vrai que l’argent aide à supporter la pauvreté, mais dans la vie, il faut choisir entre gagner de l’argent ou le dépenser: on n’a pas le temps de faire les deux!
Les aveugles sont devenus « non-voyants », les sourds « malentendants », les mongoliens « trisomiques ». Cela les soulage-t-il vraiment? Comment allons-nous appeler un cul de jatte? Un demi-frère à la rigueur. Sommes-nous franchement plus satisfaits de mourir d’une « longue maladie » plutôt que d’un cancer? A l’éducation nationale, qui a maintenant des « professeurs des écoles » à la place des instituteurs (au cas où on les confondrait avec des profs de ski) et des « éducateurs » à la place des surveillants (les pions ayant rejoint depuis longtemps l’imagerie populaire), les cancres sont « admis à redoubler » surtout s’ils viennent d’une « famille recomposée » ex-divorcés souvent décomposés. S’ils ont de la chance et qu’ils échappent aux « agents de proximité », ils deviendront « demandeurs d’emploi » alors qu’avant, ils auraient été simples chômeurs, rendez-vous compte! S’ils n’ont pas cette chance, ils seront voyous, donc « délinquants primaires » et après avoir constitué une « association de malfaiteurs », anciennement une bande, ils se rendront coupables « d’effraction avec voies de fait » plutôt que d’un vulgaire cambriolage. Pire, ils pourraient commettre un « homicide ayant causé la mort sans volonté de la donner » au lieu d’un banal meurtre et seront alors « mis en examen ».
Dans tous ce fatras pudibond, quelques jolies choses surnagent : le Sud-ouest de la France, patrie du rugby, est devenu « l’Ovalie ». Terme charmant mais qu’il ne faudrait pas galvauder, car la Bretagne et ses crêpes risqueraient de devenir « la Crêperie », la Provence « la Pétanquerie » et le Lyonnais « la Triperie ». Je n’ose imaginer « la Choucrouterie » pour l’Alsace ou « la Friterie » pour le Nord! Moi aussi j’aimerais, en toute humilité, changer le nom de ma société en D.I.E.U. (Développement International Economiquement Utile). Pas pour que, par miracle, elle fonctionne mieux, mais uniquement pour avoir le plaisir de répondre au téléphone. »Ici Dieu. Que puis-je pour vous? ».
Les choses évoluent-elles en les appelant autrement? Ce n’est pas en changeant les mots que l’on changera les maux. Le progrès n’est une religion que pour les imbéciles et un imbécile reste un imbécile, qu’on le qualifie de « mou du bulbe » ou de « fêlé du bocal ». On peut également dire que c’est un sot briqué, mais ce ne sera jamais qu’un c.. propre!
Plus la connaissance progresse, plus les énigmes se multiplient et bientôt seuls les ignorants sauront quelque chose. On admire les insectes pour leur faculté d’adaptation, mais on peut se poser des questions quand on voit qu’il y a 1 siècle que les mouches se collent aux vitres au lieu d’en faire le tour!
Faisons-nous mieux qu’elles ?
Excellent essai pour jouer avec les mots , tu t’en sort très bien .En fait , à force de vouloir faire dans le politiquement correct , on frise parfois le ridicule .Appelons un chat , un chat .
Bonne année