Ah! Le Moyen-âge, quelle belle époque! Du Guesclin, Ivanhoé, Lancelot! Au XIème ou XIIème siècle, la vie était tellement plus simple et plus naturelle.
Age franchement moyen
Il y avait du travail pour tous et ceux qui n’en avaient pas devenaient simplement des serfs. Ils n’avaient pas de problème de retraite parce qu’ils mourraient avant. Les valeurs familiales étaient respectées et les divorces inconnus: on frappait sa femme jusqu’à ce qu’elle obéisse et tout le monde était plus heureux! Quand on partait en balade, la ceinture de chasteté nous laissait l’âme en paix. Et quand elle devenait trop embêtante, on la cloîtrait dans un couvent où elle se repentait jusqu’à la fin de ses jours de ses péchés et priait pour les nôtres. On ne connaissait pas l’obésité ou la pollution et il n’y avait pas de soucis de discrimination ou d’intégration: quand on voyait un étranger, on le tuait. Si on attrapait la grippe aviaire, on se contentait de crever dans un coin sans en faire toute une histoire.
La politique aussi était plus simple. En cas de contestation populaire, on calmait tout le monde en brûlant les villages et en accrochant les meneurs aux arbres. Et durant des siècles, cela a très bien marché comme système de gouvernement. Il y avait naturellement quelques petits aléas. Par exemple, on se crevait la santé à faire un petit royaume sympa, on écrasait les voisins, on réduisait en esclavage les uns et on génocidait les autres pour remplacer le despote régnant par une dictature héréditaire. Puis, on tournait le dos 2 ou 300 ans et paf, on retrouvait le chaos. C’était à vous dégoûter de la mégalomanie! Heureusement, il restait les croisades pour se divertir. Il y avait toujours quelque armée poilue ou horde malodorante qu’il fallait ramener vers la foi par le fer et le feu et tous ces mécréants qu’il fallait tuer d’urgence pour sauver leurs âmes. Bref, c’était clair.
Ce n’est pas le cas de notre société d’aujourd’hui. On ne peut plus sortir de l’ordinaire, dévier du politiquement correct ou simplement proclamer ses idées ou ses goûts sans s’attirer les foudres des censeurs et soi-disant bien pensants. Par exemple, se dire de gauche, c’est être démago. Se prétendre de droite, c’est ne pouvoir être que fasciste. Regarder sa secrétaire d’un air aimable, c’est risquer d’être poursuivi pour harcèlement. Sourire à une petite fille dans la rue peut vous entraîner au tribunal pour pédophilie. Embrasser un copain fait soupçonner des tendances homos. Observer une jolie passante vous fait traiter d’obsédé et ne pas y faire attention de refoulé. Tout ce fatras est quelque chose d’assez proche de l’infiniment con et il y a peut-être lieu d’être pessimiste sur l’avenir, car un pessimiste est un optimiste qui a de l’expérience.
Ivanhoé et les autres
Afin de nous éloigner de toutes ces vicissitudes, j’ai offert à ma femme préférée il y a quelques années de cela, un week-end à Londres. Vous savez, cette ville où on ne se demande pas s’il va pleuvoir demain, mais à quelle heure il va pleuvoir? Ma connaissance de l’anglais datait de mes séjours linguistiques à Margate où l’essentiel de mon temps était consacré à la poursuite effrénée des petites anglaises et au partage de bières avec des copains français. Ces exercices, surtout manuels, n’ont pas particulièrement favorisé le développement de mon accent « so british« , mais je ne pouvais décevoir les certitudes de mon épouse quant à mes dons linguistiques. Nous atterrissons donc à Heathrow où nous embarquons dans un taxi pour rejoindre la cité. Je salue le conducteur pakistanais et barbu d’un «Hello!» vigoureux.
-«Morning! Where are you going?».
Surprise: ou bien je comprends subitement le pakistanais ou mon anglais a survécu aux années.
– «We wanna go to the Hotel Ivanhoe».
Du moins c’est ce que je croyais avoir dit.
-«What?»
-«What what?».
J’articule lentement: «Oui want tou go tou zi otel iva noé».
On ne va pas au Goncourt avec un dialogue comme ça, mais ça me paraît clair!
Le taximan me regarde d’un air interrogateur, secoue la tête et lève ses sourcils broussailleux:
-«French?» Sans attendre de réponse, il se retourne en marmonnant dans sa barbe quelque chose dans lequel je ne saisis que le mot froggies , mais dont le sens général me paraît assez désagréable.
-«Do you understand?» lui demandais-je traîtreusement.
Il secoue encore la tête et lâche laconiquement :
-«Ivan oè? Russian hotel? Unknown!»
C’est lazconique, mais parfaitement clair. Il ne me comprend pas. Apparemment, il doit arriver directement d’Islamabad car l’hôtel en question qui n’a rien de russe, est situé au coeur de Londres et paraissait superbe sur la brochure, brochure que j’ai naturellement oubliée. Bon. A la guerre comme à la guerre! Il faut savoir se mettre au niveau de la population étrangère qui ne saisit pas toujours les subtiles nuances de la langue de Shakespeare.
-«Look at me!».
Il look moi et je me mets alors à mimer un chevalier avec sa lance et son bouclier en tressautant sur la banquette comme Ivanhoé sur son destrier. Ridicule pour ridicule, je vais jusqu’à hennir pour que ce sujet de Sa Gracieuse Majesté veuille bien nous amener à ce foutu hôtel où je regrette déjà d’avoir loué une chambre. Si Sa Majesté est gracieuse, je ne dois pas l’être car le sujet en question me regarde d’un air ahuri.
-«My God….» dit-il.
Je connais la signification de god en français, mais je doute que la situation se prête à une plaisanterie grivoise, fut-elle bilingue, et le fait que ma femme se gondole de rire dans mon dos n’arrange pas les choses. En désespoir de cause, je me mets à chanter le générique du feuilleton télé et là, miracle, une lueur de compréhension surgit dans l’œil atone du conducteur. L’œil gauche seulement, mais c’est déjà un début. Ne voilà t-il pas qu’il entonne la chanson en marquant le rythme sur le dossier, moi sautant toujours sur la banquette. Ma femme hoquette nerveusement maintenant et nous remportons un franc succès parmi les clients qui attendent leur taxi sur le trottoir. La chanson finie, ils applaudissent et le taximan lève un doigt et rugit avec un grand sourire.
-«Ah yééééés! Aie van hoo!» avant d’embrayer brutalement.
Dit comme ça évidemment, cela change tout. Mon épouse, après avoir essuyé ses larmes et croyant me rasséréner, me dit gentiment:
-«Cela doit être une question d’accent». Merci chérie!
Le tube du bidet
Nous roulons maintenant tranquillement, quoique à gauche, dans la campagne anglaise et pendant quelques temps entre deux averses, nous pouvons apprécier la beauté du bocage environnant. Au bout d’un moment, je remarque que la circulation augmente considérablement dans notre sens. Voulant paraître aimable et m’intéresser à ce qui se passe, je questionne le chauffeur.
-«What’s happen?».
-«Der bidet» me répond t-il sobrement.
Je me retourne avec une moue interrogatrice vers mon épouse qui a l’air aussi désorienté que moi. Tous ces gens qui se dirigent apparemment vers le même endroit font-ils partie d’une secte allemande d’adorateurs de la fameuse cuvette? Se rendent-ils dans un lieu secret où ils se réunissent pour se laver? Ou s’agit-il de l’aimable quadrupède issu d’un croisement improbable et dont une foire se tiendrait dans la banlieue de Londres? Notre air interloqué amuse le chauffeur qui répète d’un air ravi: «Der bidet! Der bidet!» Et voilà qu’il se met à son tour à caracoler sur son siège et à hennir bruyamment! Encore un chevalier, allemand peut-être? Non, je crois qu’il veut parler de chevaux.
Et tout d’un coup, la lumière se fait: Il s’agit bien sûr du jour du fameux Derby d’Epsom (et non des psaumes, bien que nous soyons dans un pays chrétien), le Derby Day ! Je me joins à lui et hilares nous clamons en chœur: «Derby day! Derby day!».
Ma femme nous regarde tous les deux comme des fous et ce n’est qu’après une explication circonstanciée qu’elle consent à remonter dans le taxi qui nous lâche enfin à notre hôtel.
Le lendemain, nous décidons d’aller visiter la Tour de Londres et ses célèbres corbeaux. Après avoir marché un moment, nous décidons de prendre le métro afin d’épargner nos petits pieds fragiles qui ont encore de nombreuses heures de piétinement devant eux. Abordant un bobby qui déambule, je lui demande aimablement la station de métro la plus proche:
-«Hello ! Please, can you tell me where the next metro is?»
Il force ses sourcils roux sous son casque et lâche avec une moue dédaigneuse:
-«Sorry! Don’t understand….»
Cela ne va pas recommencer?
-«Are-you Pakistani?» lui askai-je.
-«Sorry? Never not!» me answer-il d’un air offusqué.
Good! C’est déjà ça.
-«I want to take the metro, the tube quoi!»
Il secoue la head d’un air dubitatif et hausse his shoulders.
-«Don’t understand…..»
On n’a dû lui apprendre que deux phrases pour être policier. Je comprends qu’il ne comprend pas ce qui nous rapproche, mais m’énerve. Pris d’une inspiration subite, je sors le plan de Londres où figure le métro et je le lui mets sous le noze qu’il a long et rouge.
-«Look at the tube» lui dis-je en lui indiquant le trajet sur le plan.
Sa figure ingrate s’éclaire brutalement:
-«Of course! The tyoube!» reprend-il en m’indiquant la next street de la main.
-«Char you!» lui lançais-je pour l’embêter. C’est mieux que tank you.
J’ai envie de lui mordre le nez qu’il a rouge. Il est vrai que je ne lis pas Tennyson dans le texte, mais moi au moins, je m’efforce de parler (bon: d’essayer de parler) sa langue de rosbif dans un bled où les chauffeurs métèques ne connaissent même pas Ivanhoé et me traitent de froggy! Alors, si je prononce tube à la place de tyoube, ce bobby d’mes fesses pourrait faire un effort pour me comprendre, non?
Nous avons effectué le circuit complet que tout touriste se doit de subir: Tower Bridge, Parliament Houses, Big Ben, Carnaby Street et tout le tintouin (tintouine en british). Nous n’avons pas undestand nous non plus la moitié de ce que contaient nos guides et c’est rapidement gonflant de sourire d’un air niais entre trois italiens volubiles et dix coréens sautillants. Nous avons erré longuement à la recherche d’autobus introuvables ou de toilettes accessibles, nous avons souffert des affres de la soif sous une pluie battante, nous avons percé trois chaussettes et éculé nos chaussures et puis nous avons renoncé. Mais avant de revenir at home, nous avons voulu manger indien car pour honorer son patronyme, la cantine de l’hôtel servait encore des plats de l’époque des Plantagenets. Le gigot à la menthe et le steak à la rhubarbe sont money courante, mais c’est la courante que nous avons surtout subie. Enfin, je crois que le repas était indien, car ne comprenant rien au menu, nous avons pris le risque de commander la même chose que les voisins. Je me suis retrouvé avec un long boudin grisâtre apparemment bouilli, insipide à la première bouchée, mais qui semblait avoir été fourré à la nitroglycérine immédiatement après. Sanglotant et le palais en feu, j’ai avalé deux carafes coup sur coup et je n’ai plus pu parler de la soirée.
-«Heaume, tout de suite heaume» aurait dit Ivanhoé à son écuyer et à ma place.
Nous sommes donc rentrés en Doulce France et j’ai bien failli embrasser le chauffeur portugais du taxi à Roissy quand il m’a dit en bon français:
-«Et ouch écheque jeche conduich vouch?»