Il était au moins deux fois une mère de famille qui, lassée des éternelles réflexions désagréables ou au mieux désabusées des professeurs lors des réunions parents/professeurs (des écoles!), décida un beau jour d’envoyer son époux en première ligne afin qu’il participe également aux festivités professorales.
Le népoux, c’était moi. Mis devant le choix cornélien d’aller à cette réunion ou d’abandonner définitivement l’andouillette-frite, je me résous, la mort dans l’âme et l’estomac dans les talons, à me rendre au lycée pour cette fameuse confrontation. Confrontation où je dois convaincre les professeurs du sérieux de mon enfant alors qu’eux et moi sommes persuadés du contraire. Mystère de la communication enseignante. Par égard pour mon fils et sa future descendance, je ne le nommerais point, mais il se reconnaîtra aisément.
Au lycée, après avoir salué la foule de mes amis dans le même cas que moi, je rencontre en premier le prof de math, un copain:
– «Salut! Je viens pour Xxxxxxx. Comment ça se présente?»
L’enfant se présente mal, car il prend l’air ennuyé.
-«J’aime bien ton fils. C’est un gentil garçon, bien élevé».
C’est toujours ça de pris, mais cela augure mal de la suite.
-«Et donc?»
-«Comment dire? Il hiberne probablement. Il fait des efforts désespérés pour…….. se rapprocher de la fenêtre et se retourne parfois pour regarder le tableau.»
Ce type n’est plus un copain! Il exagère certainement et je me dis que c’est sans doute de notre faute. Venant d’une famille où les maths n’ont pas laissé de traces indélébiles, cette hérédité pèse lourd sur les épaules de mon rejeton. Cela ira certainement mieux dans les matières plus classiques. J’arrive donc plein d’espoir au prof d’anglais, car après avoir payé quelques années de vacances–études à mon fils à Margate (Angleterre) où il était censé passer plus de temps aux études que dans les boîtes, j’en espérais un retour sur investissement.
Cette gentille brunette m’enlève rapidement mes illusions:
-«Bonjour! Je viens pour mon fils Xxxxxxxx».
Elle m’assène avec un petit sourire:
-«Oh! C’est un élève aimable et très tranquille». Aie!
-«Il se réveille parfois brutalement au milieu d’un cours, mais toujours sans déranger personne. Pour résumer, il a les prétentions d’un cheval de course et les résultats d’un âne!»
Bon! Après tout, peut-être l’anglais est-il une langue trop vivante pour lui et je suis sûr que sa langue maternelle va mieux lui convenir. Avec le prof de français, je prends immédiatement les devants:
-«Bonjour! Je viens pour mon fils Xxxxxx. Je sais, c’est un garçon gentil et tranquille, mais ses résultats sont peut-être un peu faibles.»
Dégarni, la pipe au bec, le prof de français lève les sourcils qu’il a abondamment fournis et laisse tomber laconiquement:
-«Ah! Vous êtes au courant? Faibles est un aimable euphémisme, si vous savez ce que cela veut dire. En fait, il a touché le fond, mais il creuse encore! Il est en nette progression vers le zéro absolu et en forme pour les vacances!».
Je me retire déconcerté. Qu’ont-ils donc tous? Ces aimables éducateurs se seraient-ils donné le mot? Est-ce une cabale ou ce concert de critiques reflète-t-il vraiment la réalité? Je commence à avoir des doutes sur la scolarité de mon bambin, mais le prof de latin que je vois en dernier, va certainement redresser la barre. Barbu, lunette sur le nez et l’air fermé, il écoute mon laïus maintenant bien au point, plisse le front et demande:
-«Quel nom dites-vous? Xxxxxx?»
Il a l’air perplexe:
-«Vous êtes sûr de la classe?»
-«Ecoutez monsieur, je paye suffisamment de frais de scolarité pour connaître la classe de mon fils!»
-«Peut-être en payez-vous une partie pour rien, car je ne connais pas cet élève! Il est effectivement sur ma liste, mais il fait preuve d’un absentéisme zélé. Elève brillant par son absence!»
Pensant à une plaisanterie, je souris.
-«Et cela vous fait sourire?»
Devant mon air ahuri, il reprend:
-«Avez-vous une vague idée de sa moyenne?»
Afin de ne pas perdre complètement la face devant cet enseignant à l’air sadique qui me révèle l’immensité du désert séparant l’idée que je me fais de mon fils et la réalité, j’articule hypocritement :«4?» en pensant 8 et en rêvant 12.
-«Vous parlez sur dix peut-être? Oh non monsieur! Pas 4, pas 3, ni 2, ni même 1 ou ½! Zéro, monsieur, zéro! Votre fils n’a rendu aucun devoir de l’année et je le répète, je ne l’ai jamais vu! Ne me faites pas perdre mon temps plus longtemps. Au revoir, monsieur!».
Saint-Exupéry a dit: «L’homme se révèle devant l’obstacle». J’ajouterais modestement: «et se relève derrière». Je me relève donc, et groggy, je sors de la salle comme un somnambule. Le corps enseignant me crève le cœur en saignant. Je suis vexé, honteux, crucifié, mortifié. Est-il possible ou même concevable, que la chair de ma chair (et celle de mon épouse, qui est moins ferme) soit l’élève dont tous ces gens me parlent? Lui, promis aux plus belles études, aux aspirations les plus hautes, à une destinée étincelante (d’après nous), est-il ce cancre qui sèche les cours? Je suis également très en colère. En pareilles circonstances, la phrase adéquate est «mon sang ne fait qu’un tour», mais le mien est en train de battre le record du tour des globules rouges! Je saute dans ma voiture, traverse Casa en cinquième dans un état second, gicle à travers la maison jusqu’à la chambre de l’accusé et mon mètre soixante-quinze saisit son mètre quatre vingt-huit, le soulève du sol, le colle au mur et lui hurle: «Ne me fais plus jamais ça!». Je sais. J’aurais dû le hurler en latin, cela aurait été plus en phase avec la situation, mais voulez-vous que je vous dise? ………J’ai toujours séché les cours de latin !
Attention: rien n’est perdu. Au rythme d’aujourd’hui, la scolarité de mon fils est loin d’être finie et cela nous laisse la chance d’avoir les commentaires suivants au fil des années:
-«Dors en cours sur le clavier ou le tapis de souris, selon l’urgence».
-«C’est un touriste, mais un vrai touriste aurait au moins pris des photos!».
-«Plonge inexorablement dans les profondeurs de la nullité».
-«Printemps arrivé, toujours pas réveillé…».
-«Sèche parfois le café pour venir en cours!».
-«Sait déjà lire. Saura bientôt écrire!».