Aujourd’hui, je me lance dans une chronique sur les métiers.

Tout petits, les garçons rêvent tous d’être pompier, motard ou explorateur et les filles infirmière, hôtesse ou modèle. Ce sont toujours bien sûr des métiers ou des vocations qui font rêver. Qui n’a pas joué au docteur au fond d’un placard avec sa cousine ou à Zorro dans les bois avec son meilleur copain? Mais on n’a jamais vu aucun gosse jouer à l’éboueur! Il y a des professions que tout le monde aime. J’ai cité pompier, explorateur(trice), infirmier(ère), médecin, on peut y ajouter pilote, comédien, chanteur ou sportif. Il existe aussi des professionnels que tout le monde exècre: assureurs, banquiers, inspecteurs des impôts, et bien sûr hommes politiques.

Mais il y en un surtout qui cristallise tous les reproches que l’on peut faire à une profession, un qui est maudit: Dentiste!

Demandez autour de vous et à toute la planète, vous ne trouverez personne pour vous dire qu’il aime aller chez son dentiste. Je n’aime pas les cliniques et les enterrements, d’ailleurs je ne sais même pas si j’irais au mien. Mais je crois qu’aller chez le dentiste est l’angoisse absolue. Comment un étudiant peut-il sereinement envisager de consacrer sa vie à une activité qui va le faire haïr par tous ses clients ? Je suis rempli d’admiration pour ces techniciens de la santé qui résistent à l’énorme pression de ce désamour et à l’envie qu’ils doivent avoir, de temps en temps, d’enfoncer la roulette au fond de la gorge de leurs patients.

D’autant que cette antipathie n’est pas justifiée. Bon, un petit peu quand même! Quand il vous fixe rendez-vous, votre dentiste ne soupçonne pas qu’il engage un processus qui va vous gâcher les deux jours précédent cette échéance.

Après deux nuits blanches, vous arrivez donc raisonnablement crispé dans une salle d’attente bondée où instantanément toutes les personnes présentes vous haïssent d’avoir la chance de garder vos dents intactes plus longtemps qu’eux. Vous vous asseyez du bout des fesses sur le dernier pouf disponible en prenant l’une des revues chiffonnées où il manque les trois-quarts des pages. Elle date de 2002 et vous l’avez lue ici même une bonne dizaine de fois, mais ce n’est pas grave car vous évitez de lire les journaux depuis le début de la grippe A. Une fois les victimes précédentes passées, une jolie assistante vêtue d’un jean vous appelle. Ne pouvant sauter par la fenêtre fermée, vous êtes obligé de la suivre. Et en la suivant, vous vous dites qu’une fille en jean collant, c’est Lewis sans la vertu. Quand on connaît le QI de ce type de fille, on a tendance à se rappeler surtout la première lettre! ça commence bien! Elle vous abandonne dans un fauteuil de cosmonaute qui justifie soudain à vos yeux les honoraires exorbitants que l’homme de l’art a la réputation de demander pour vous faire souffrir. Le fauteuil est couvert de similicuir blanc et rouge. Normal pour un dentiste: c’est fluor et sang! Vos yeux fatigués font des va-et-vient nerveux entre les outils chromés et les instruments dangereusement dressés au bout de leurs tubes. En sourdine, on entend un disque de rap. Le rap, c’est la cerise sur le ghetto!

En bon acteur, le dentiste vous fait mijoter dix bonnes minutes pour que vous puissiez sans doute vous mettre dans l’ambiance. Il entre enfin d’une démarche d’empereur, drapé dans une blouse blanche, légèrement hirsute (sans doute une cliente récalcitrante) et avec un masque cachant -mal- une moustache ridicule et laissant penser que vous êtes contagieux. Les poils grisâtres qui dépassent de partout et ses petits yeux pervers lui font un groin de phacochère. Afin de dissiper l’inquiétude qui se lit sur votre beau visage et avec ce que vous supposez être un sourire, il vous dit:

_ » Bonjour! »

Ce qui est la moindre des politesses pour quelqu’un qui va violer votre intimité pendant la demi-heure qui suit.

Il ajoute gentiment _ »Vous allez voir, ça va bien se passer »

Mon œil! Vous savez pertinemment tous les deux que ça va tout faire sauf bien se passer. De plus, son after-shave est nauséabond. à moins qu’il n’en ait pas mis?

_ » Vous connaissez la dernière? » reprend t-il sans doute pour vous mettre à l’aise. Sans attendre la réponse, il vous lâche:

_ » Vous savez pourquoi un opus vous fait marcher? Parce que marcher opus!« .

Il ricane derrière son masque et appuie sur un interrupteur qui fait brutalement basculer le fauteuil en arrière. Vous comprenez que la rigolade est finie. Une fois en position horizontale et aveuglé par un immenses scialytique, vous l’entendez prononcer la phrase fatidique qui vous met en transe:

_ »Ouvrez la bouche« .

De temps en temps, quand c’est vraiment grave, il ajoute: »S’il vous plaît« .

Vous obtempérez en entrouvrant un peu la bouche comme pour retarder l’échéance:

_ »Plus grand! »

Dompté, la mort dans l’âme, vous livrez un four à son inspection. Vous n’êtes venu que pour une petite carie sans importance qui vous taquine. Mais après avoir tiré sur vos joues et tapoté du bout d’une spatule l’intégralité de vos mâchoires un temps qui vous paraît démesuré, il marmonne quelque chose derrière son masque en fronçant les sourcils avant de replonger agiter son bout de ferraille qui tombe brutalement sur votre carie. La douleur soudaine vous fait décoller du siège et c’est là qu’il vous demande finement:

_ « ça vous fait mal?« .

_ « Non » lui répondez-vous « seulement quand je rie! »

Imperméable à votre humour, il ajoute:

_ « Bon! C’est plus ennuyeux que vous ne pensiez. Avant une radio indispensable, je compte au moins 3 caries, 2 plombages à refaire sans parler du décollement de vos racines qui laisse entrevoir un bridge probable. Oh le beau cas!« .

C’est de ma bouche qu’il parle là, le boucher? Il enlève alors son masque pour vous faire admirer son sourire parfait dont le vôtre-que vous n’arborez pas en ce moment- n’est qu’un pâle reflet.

_ »Si vous continuez comme ça, dans 10 ans vous mangerez de la soupe. Plus de plat pied-noir! »

_ « Oh! Pas de soucis! Les pieds-noirs ont un plat particulier: le nouzotre. Et ça ne se mange qu’en purée! »

Il vous jette un œil noir. Et profitant de votre position d’infériorité, il vous assène:

_ « A la louche, cela va vous coûter un œil! »

C’est de l’humour dentaire sans doute. Il vous articule alors un montant qui vous incite illico à aller consulter un otorhino.

_ « Vous avez bien dit …euh……?« .

Vous n’arrivez même pas à prononcer le nombre astronomique qui tourne en boucle dans votre cerveau.

_ « Oui, mais les soins sont compris » précise t-il.

Ah bon! Si les soins sont compris, cela ne va que dévaster votre retraite et l’héritage de vos arrières petits-enfants.

_ « Et comme vous m’êtes sympathique, je vous ferais une fleur« .

Une chrysanthème sans doute ?

_ « Bien. On va profiter de votre présence pour soigner déjà les caries. »

Ca va être le seul à en profiter! Il appelle son assistante, remet son masque et bredouille:

_ « Détendez-vous et ouvrez la bouche. S’il vous plaît! »

Aie! Comment peut-on se détendre la bouche grande ouverte, distendue par deux bouts de coton dans chaque joue, envahie par deux doigts poilus et un ustensile auxquels s’ajoutent rapidement un aspirateur tenu par l’assistante? A ce propos, je vais faire un aparté. Il fut un temps où les bons dentistes avaient de jolies assistantes avec une blouse largement remplie qu’elles entrebâillaient gentiment, laissant deviner au parturient la naissance d’une poitrine qui valait n’importe quelle anesthésie. Sans doute par économie, elles ont été remplacées par des piqures. Sans remettre en doute la légitimité thérapeutique du procédé, je ne peux que le regretter.

La première minute se passe bien et malgré la sueur d’appréhension qui vous dégouline dans les yeux, vous reprenez espoir. Une seconde après, l’ustensile touche le nerf et vous redécollez du siège.

_ « Ah! Le nerf est encore vivant! » dit-il.

Quel don d’observation! Ceci explique sans doute les longues années d’études nécessaires afin de martyriser légalement les honnêtes gens.

_ « Pour que vous ne souffriez pas trop, je vais vous faire une anesthésie locale.«

_ « C’est gentil docteur, mais je préférerais une anesthésie française.«

Cette répartie lui fait vibrer le groin et il réplique:

_ « Ok! La locale, c’est au maillet et la française à la seringue, mais c’est plus cher! »

Mouché! Vous le voyez donc sortir une énorme seringue remplie d’un liquide verdâtre et munie d’une aiguille que l’on doit utiliser pour vacciner les éléphants. Après vous avoir bloqué les mâchoires, il pique votre maxillaire et se met à forcer comme un malade. Sous l’effort, sa main se met à trembler et si vous n’avez pas mal, vous pensez brutalement que si son aiguille dérape, vous allez vous retrouver avec une boutonnière dans la nuque! Vous fermez les yeux et jurez au Seigneur de dire tous les matins trois pater et cinq ave si vous vous en sortez. Trois minutes plus tard, vous êtes encore vivant et vous ne sentez plus rien, même pas l’after-shave du bon docteur. Qui se secoue de rire en disant:

_ « Maintenant, on va jouer à la roulette et c’est moi qui vais gagner! »

Vous serrez vos mains sur les accoudoirs pour maitrisez l’envie de glisser votre main sous sa blouse pour lui écraser les ……….genoux. Comme les dentistes économisent sur la climatisation, il fait chaud et l’assistante a déboutonné le premier bouton de sa blouse. Aidée par les drogues, votre imagination s’emballe et votre bouche a beau être embouteillée par un nombre effarant d’outils vrombissants, vous essayez pitoyablement de lui sourire. Mais le bout de bois qu’est devenue votre langue semblant animée d’une vie indépendante et avec vos yeux hagards, vous ressemblez à une statue de l’île de Pâques. La belle remplace son aspirateur par une pipette qui vous chatouille la glotte et vous déglutissez convulsivement afin de ne pas mourir noyé. Là-dessus, le dentiste que la contemplation de vos molaires détruites ennuie sans doute, ne trouve rien de mieux que de se mettre à vous poser des questions:

_ « Vous avez vu les infos? Vous regardez la pintade du 13h? »

Dans l’incapacité d’émettre le moindre son, vous secouez la tête ce qui a pour effet de vous envoyer une giclée de pipette dans les narines.

_ « Ah non? Et les enfants, toujours les études? »

La question-idiote-met cinq secondes à atteindre votre cerveau embrumé et vous en mettez cinq autres à la comprendre. Ces dix secondes passées, vous faites un effort et vous essayez avec votre bout de bois d’écarter le tuyau caoutchouteux qui défigure votre joue gauche pour répondre:

_ »Je n’ai pas d’enfants! »

Enfin, c’est ce que vous croyez avoir dit. En vérité, ça ressemblait plutôt à:

_ « Che é a anhan! »

Le docteur, qui a l’habitude des langues orientales, ne se démonte pas.

_ « Et ils sont grands? » demande t-il en creusant allégrement ce qui vous semble être la dernière dent restante de votre maxillaire inférieur.

En roulant de l’œil droit, car le gauche est toujours captivé par la blouse de l’assistante, vous répétez:

_ « Mé okeur, ai a anhan! »

_ « Oui, c’est vrai. C’est difficile quand ils sont grands. » continue t-il imperturbablement en retirant de votre bouche un ver de trois centimètres de long qui doit être le nerf de votre carie agonisante.

Vous hésitez alors entre tourner de l’œil -droit- ou couper d’un coup de la dent qui vous reste le tuyau de la roulette. Le dentiste vous épargne ce dilemme en disant:

_ « Bon! Je rebouche et on va maintenant vous prendre vos empreintes. »

Ah? C’est comme au poste alors? A ce moment, l’assistante, qui a reboutonné sa blouse -la garce-, enfonce par surprise une double gouttière nickelée dégoulinante de pâte rosâtre dans votre bouche déjà martyrisée. Non contente de doubler la taille de votre sourire et d’avoir le goût d’un vieux chewing-gum récupéré sous une semelle, elle a l’énorme avantage de vous étouffer instantanément. On vous dit alors avec un joli sourire:

_ « Serrez fort et gardez ça sans bouger quelques minutes, on revient« .

Peut-être craignent-ils que vous sortiez du cabinet en courant, les yeux fous, la bouche baveuse de pâte rose et avec un manche d’acier de vingt centimètres dépassant de vos mâchoires? Vous imaginez la panique dans la salle d’attente, les femmes tombant en syncope, les enfants grimpant aux rideaux et l’assistante déchirant sa blouse de peur? Cette idée vous séduit un moment, mais vous êtes déjà assez occupé à afin de laisser passer un filet d’air indispensable à votre survie. Et d’éviter autant que possible d’avaler des morceaux du plastique qui durcit sur vos dents en envahissant lentement votre périmètre respiratoire.

L’angoisse vous donne des palpitations, mais comme vous craignez plus le dentiste que la mort, vous prenez votre mal en patience et vous restez là en essayant de ne pas vous arracher les joues avec vos ongles. Après ce qui vous paraît une éternité, le docteur revient et saisissant le manche, vous arrache vos trente-deux dents d’un seul coup. C’est du moins l’impression que cela vous donne, mais comme maintenant vous respirez normalement, même sans dents vous êtes prêt à lui pardonner. Le résultat en valait-il l’insoutenable attente car vous avez pris 10 ans, votre visage est couvert de rides façon grand canyon et vos nerfs ont tous explosés les uns après les autres! Vous le pensez jusqu’à ce qu’il vous dise:

_ « On va vérifier si c’est bon ou si on doit le refaire! »

_ « On! On! » criez-vous en langage phoque. « Cha uffi!« .

_ « Bon! Rincez-vous la bouche. On verra le reste la prochaine fois » condescend t-il en appuyant sur un bouton remplissant d’eau parfumée un affreux gobelet plastique. Vous vous exécutez en crachant partout des bouts de pâte rose et en renversant la moitié du gobelet sur votre chemise.

C’est fini. Le praticien enlève son masque et vous voyez qu’il a bien un groin avec une atroce moustache. Il vous dit aimablement:

_ »Vous voyez! Ce n’était pas si terrible!« .

Pour lui non, mais pour la loque qui descend du fauteuil, ce fut plus dur. La vie est ainsi faite. En Écosse, il disent: il faut que la loque naisse. Le bon docteur vous raccompagne en évitant soigneusement de vous faire passer devant la salle d’attente afin sans doute que vous ne fassiez pas peur aux patients résignés qui gémissent d’angoisse et qui vous haïssent derechef d’être sorti avant eux.

_ « A la prochaine donc » vous dit-il en vous serrant la main.

_ « Hi hi » lui répondez-vous en pensant on on.

Car même si vous faites des progrès sensibles en langage phoque, il n’y aura pas de prochaine fois. Les anesthésies pour faire des bridges, pas question. Vous ne voulez pas être bridge et stone! Vous allez garder votre retraite intacte, votre haleine vierge, vos narines sèches et attendre patiemment que l’assistante vous ouvre sa blouse.

On peut raisonnablement se méfier des dentistes. Il peut toujours se cacher derrière un taxidermiste zélé ou un collectionneur maladif de meubles Ikea. Les bons dentistes, cela se compte sur les doigts d’un bucheron maladroit. Le mien fait partie de cette catégorie (que les roses fleurissent sous ses pieds). C’est un mec plus ultra.

De plus, il est beau, gentil, doux, compétent et (légèrement) désintéressé. Je sais qu’après cet article, même s’il a une dent contre moi, il sera bien obligé de me tresser …………une couronne!

3 Commentaires
  1. Caryl 14 ans Il y a

    Moi j’en connais une parfaite à Marrakech…
    Je mets ses coordonnées dans le forum « mes bonnes adresses »

  2. Céd 14 ans Il y a

    Génial… et plutôt subtil.
    Mais maintenant j’ai encore plus peur d’y aller…
    mammmmmmmmmmaaan !!!
    Alors finalement, qui connait un dentiste sympa, avec assistante sexy aux formes généreuses, et décolleté sympa, j’ai de quoi faire un trou dans la sécu ? (par mp svp) 🙂

  3. Damz 14 ans Il y a

    Je viens de lire le tt a 2h du matin après avoir bosser
    J’en pleurs de rire
    Merci;-))))

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